"Caminar como viejo para llegar como joven."

Loin d’avoir fini d’écrire les articles en Asie, puis ensuite en France, j’ai envie d’écrire celui sur l’Argentine, car en cette période de confinement (que je vis en Italie…), cette expérience où je me sentais absolument libre me revient très souvent en tête et j’ai envie de la partager maintenant. La suite de mon expérience en Argentine viendra plus tard, mais pour l’heure je vous présente :

Los cuatros refugios, Patagonia, Argentina

"Aidez-moi, je suis perdue" (correspondant au jour 4)
"Aidez-moi, je suis perdue" (correspondant au jour 4)

Un bus long, très long, très très long (pas le bus enfin ! Le trajet). Mais des paysages à couper le souffle, une fois passée La Pampa… La Pampa qui porte bien son nom, où tout est plat, si plat que comme en Australie, l’horizon se confond avec les paysages au loin, alors même que l’on roule depuis plus de 10 heures. Tous les paysages se ressemblent : ce serait le moment idéal pour dormir, mais je n’y arrive pas.

En approchant de la frontière du Chili, alors que je suis épuisée, je refuse de dormir et même presque de cligner des yeux car je ne veux pas rater ne serait-ce qu’un instant de ces décors qui me transportent très loin, surtout quand “The ectasy of gold” d’Ennio Morricone se joue sur mon portable.

Se préparer

Il faut au préalable s’inscrire sur le site internet, où vous pourrez aussi avoir d’autres informations. Par exemple, à notre arrivée à Bariloche, nous devons attendre trois jours avant de pouvoir commencer notre aventure car le parc est fermé à cause du mauvais temps. Donc c’est important de se tenir informé !

https://www.nahuelhuapi.gov.ar/intro_registro.html

En ce qui concerne notre équipement, nous achetons au préalable (la liste ci-dessous n’est pas exactement ce que nous emmenons, nous emmenons plus mais je vais écrire la liste de ce qui serait bien d’amener, pour ne pas faire les mêmes erreurs que nous) :

Point de vue nourriture :

  • 300 g de riz
  • 300 g de polenta
  • 300 g de pâtes
  • 500 g de lait en poudre
  • 100 g de sucre en poudre (Merci Dante)
  • 384 g de petits pois
  • 5 paquets de crackers
  • 1 tablette de chocolat
  • Du fromage (le parmesan, c’est important)
  • 2 barres de céréales par jour chacun
  • Soupe
  • Sauce tomate (là on entre dans le luxe)
  • 3 boîtes de pâté de foie
  • 1 boîte de conserve de thon
  • 2 boîtes de conserve de merlu
  • Dulce de leche (qu’est-ce qu’un Argentin sans le dulce de leche ? Déjà que nous n’avons pas le maté…Alors que tous les Argentins que l’on croise sont armés de leur thermos et jerba)
  • Thé

Et le matériel ?

  • 1 Tente trois places (ce qui est bien pratique pour mettre les sacs à dos dans la tente)
  • Deux sacs de couchage (merci à Noëlia, soeur de Dante pour le mien, même si je dois avouer que je déconseille très fortement d’acheter votre sac de couchage chez Carrefour pour ce genre de randonnée)
  • Tapis d’isolation (ne pas être idiot comme nous et en prévoir un chacun MINIMUM)
  • Thermos avec filtre, ce qui s’avère très pratique. D’ailleurs, quand Dante ne l’oublie pas chez ses amis, elle nous suit partout. D’abord conseillée par Samuel (avec qui j’ai voyagé au Viêtnam), ça permet de pouvoir boire n’importe où, dans les cours d’eau ou eau supposée non potable.
  • Un réchaud
  • 2 bouteilles de gaz (largement suffisantes, même si nous l’utilisons matin et soir et parfois le midi aussi pendant presque une semaine)
  • Kit de camping : Deux casseroles, fourchettes, couteaux, cuillère, cuillère en bois pour cuisiner etc.
  • Nos deux mugs qui nous accompagnent déjà partout
  • Des sacs plastiques refermables (type ziplock)
  • Des serviettes jetables humides mais ne pas les jeter !
  • Oui aussi, des sacs poubelles puisqu’il faut ramener vos déchets chez vous (n’importe quel déchet)

En ce qui concerne les vêtements :

  • Deux Tshirts (un tshirt respirant et une chemise)
  • Un sous-vêtement de sport et autres sous-vêtements (suffisamment pour 5 nuits)
  • Une couche thermique pour le haut
  • Une couche thermique pour le bas
  • Un pull
  • Un pantalon transformable
  • Un pantalon yoga
  • Un pantalon étanche
  • Un bonnet
  • Un manteau coupe-vent et étanche

Les bonus !

  • Appareil photo (mon cher Canon 70D)
  • Gadget qui permet d’accrocher l’appareil photo à la lanière d’un sac à dos, sur le conseil d’un gars rencontré au Népal (merci mille fois)
  • Caméra d’action Sony

Le récit

Jour 1 : Villa Catédral → Refugio Frey

Équipés de nos gros sacs à dos pesant entre 15 à 20 kg, nous partons tard de chez les amis des parents de Dante (vers 10h) pour prendre un bus à 11h qui nous emmène à Villa Catédral. Le trajet dure 45 minutes et traverse de très beaux paysages.

En arrivant à cet endroit, nous mangeons une délicieuse pizza bien garnie mais chère, que nous ne finissons même pas, ce qui nous permet d’avoir un repas en plus, donc finalement le prix est justifié.

Très belle journée, marche la plupart du temps dans la forêt. Un moment, un oiseau chante fort et ainsi nous commençons à partager notre route avec Lucas, un Brésilien, qui aurait reconnu l’oiseau. Sacré personnage ce Lucas. Personnellement, il ne m’intéresse pas du tout, ou du moins il ne s’intéresse pas du tout à nous et ne sait que s’écouter parler. Par exemple, il nous pose une question, ce qui est déjà un exploit, telle que : “vous voyagez ensemble ? Où vous-êtes vous rencontrés ?”. Donc nous répondons brièvement et dix minutes plus tard, il pose à nouveau les mêmes questions…Et ce n’est pas arrivé qu’une fois ! Et qu’est-ce qu’il parle fort et constamment. Plus que de ne pas m’intéresser, là, il m’importune car j’aimerais beaucoup plus écouter les chants de la forêt qui sont tout nouveaux pour moi, donc j’essaie de rester en retrait (désolée Dante).

Mignon petit pic bûcheron (Veniliornis lignarius) sur lequel je manque de marcher (comment marche-t-on sur un oiseau ? Et bien je ne sais pas), fort heureusement il s’est envolé mais s’est posé juste sous une douce lumière.

Je me suis rendue compte que Paul est un mauvais Paul (Paul étant mon sac à dos que j’ai depuis mon premier voyage au Japon), car la lanière que l’on attache autour de la taille qui est censée soulager du poids est très mal faite, trop fine, donc les hanches sont en fait lacérées, si bien qu’au bout de quatre heures nous créons un système avec nos serviettes pour essayer de renforcer les coussins.

Magnifique refuge au bord d’un lac entouré de montagnes, avec des aménagements pour des tentes avec des murets pour se protéger du vent, qui souffle fort. Alors que l’on s’installe, notre nouvelle rencontre, Lucas, s’installe juste à côté de nous. Notre premier dîner consiste en polenta, merlu, sauce tomate et parmesan, et alors que je n’avais jamais mangé de polenta de ma vie, c’est une très bonne surprise !

Également, petite leçon retenue du Népal, nous avons acheté du chocolat pour en manger un carré chaque soir, comme une petite récompense. Ce soir-là, je suis apparemment très astucieuse car je propose de n’en manger qu’une moitié pour en avoir plus le lendemain, car cette journée, bien qu’épuisante pour mon dos et fatigante le temps de se remettre dans le rythme, n’est pas si éprouvante.

Ce début de parcours est très prisé, réputé, bondé.

À noter !
Pour dormir à ce refuge, que ce soit en tente ou dans les chambres, il faut réserver à l’avance sur le site  (le camping est gratuit !! Mais il faut quand même réserver) : http://refugiofreybariloche.com/

Jour 2 : Refugio Frey → Refugio Jakob San Martin

Réveil à 9h, petit-déjeuner simple, des gâteaux tartinés de dulce de leche. Départ à 11h.

Petit-déjeuner auprès de la tente
Petit-déjeuner auprès de la tente

Ça commence à se compliquer déjà un peu car rapidement il faut utiliser ses mains pour pouvoir continuer. Mais une dame qui s’occupe du parc me dit cette phrase de sagesse populaire qui va me rester pendant absolument toute la randonnée et que je vais resservir à peu près à tout le monde : “caminar como viejo para llegar como joven”, soit “marcher comme un vieux pour arriver comme un jeune”. Je ne me souviens pas combien de fois je me suis répétée cette phrase, mais de nombreuses fois.

Ca y est, il va falloir mettre la main à la pâte, ou à la pierre. 2020 © dMb
Ca y est, il va falloir mettre la main à la pâte, ou à la pierre. 2020 © dMb

Ça se passe plutôt bien finalement, même si je dois avouer que ce n’est pas le genre de randonnée dont j’ai l’habitude, c’est même marrant parfois. Nous arrivons donc à un premier lac où nous en profitons pour manger le reste de notre polenta au bord de ce lac reposant où plusieurs magnifiques petits oiseaux viennent nous rendre visite, me laissant tout le loisir de les prendre en photo car ils ne craignent pas d’approcher. Merci à Adrian Jauregui pour les noms des oiseaux !

La neige commence à faire son apparition et l’escalade se poursuit un peu mais avec cette difficulté en plus, mais ça reste encore faisable.

Derrière le pic du lac, le col est un tout nouveau décor que l’on rencontre, presque lunaire, désertique où toute la végétation a disparu mais une fois le col passé, les paysages redeviennent plus luxuriants. La première grande difficulté de cette randonnée arrive une fois le col passé. Puisque nous avons escaladé la montagne, il nous faut maintenant rejoindre l’autre côté, en descendant. Cela dit, aucun chemin apparent et évident n’est visible, s’il en existe un, et nous devons tous descendre sur une pente à près de 80°, remplie de rochers lâches, ce qui fait que ceux qui marchent plus bas risquent de se prendre des roches que nous faisons glisser malencontreusement et de notre côté, essayer de garder l’équilibre avec ces gros sacs et les chaussures remplies de cailloux est loin d’être agréable. En fait, c’est si épuisant que mes jambes tremblent de façon incontrôlable. Nous croisons un couple dont la femme est effrayée à l’idée de descendre mais je dois admettre que ça devient dangereux finalement.

Après avoir descendu le flanc de la montagne, nous arrivons dans ce qui devait être un ancien lit de rivière asséchée et désormais nous devons descendre cette fois avec les mains. Effort grandement récompensé pour jouir de la sérénité de la forêt avec d’immenses arbres, d’une beauté qui m’émeut. A tel point que nous pensons camper au bord d’une rivière avant d’arriver au refuge suivant.

Seulement, c’est sans compter les tábanos, des taons proliférant notamment au bord des cours d’eau, qui sont si insupportables que même dans Prométhée enchaîné d’Eschyle (un dramaturge grec), Hera aurait envoyé un taon persécuter Io, la maîtresse de son mari Zeus. Cette dernière aurait dû s’enfuir en Egypte par la mer ionienne (wikipedia m’a donné un tel filon de culture que je vais le partager jusqu’au bout !). Seules les femelles mordent, mais elles sont si persistantes et féroces que, je cite : “« Taon » se disait oistros(οἶστρος) en grec ancien et œstrus en latin ; les mêmes mots désignent également une violente impulsion, ils ont été utilisés pour forger des termes liés aux chaleurs, au désir sexuel périodique des mammifères. Ainsi, les hormones qui provoquent « cet aiguillon, cette piqûre, ce désir véhément, cette passion folle » ont été nommées œstrogènes”. Leurs piqûres rendent littéralement fou, à tel point que Dante attrape les taons et les décapite immédiatement. Et même moi, qui pourtant ne ferais jamais de mal même à une mouche, l’envie en est grande.

Ainsi donc, nous continuons où il faut encore descendre. Mes jambes déjà très faibles semblent me supplier, mais les tábanos ne nous laissent aucun répit. Nous croisons à ce moment un homme qui nous rassure et nous dit que nous sommes à la moitié de la marche et que nous arriverons après avoir gravi “le sommet là-bas au loin”. Après avoir monté un flanc de montagne, j’imagine que c’est terminé, mais non ! Nous sommes seulement dans une plaine et nous pouvons voir le chemin serpentant le prochain col… Les espoirs m’abandonnent et nous devons nous arrêter un instant. Pour couronner le tout, je me foule la cheville pendant l’ascension.

Au sommet, pour la première fois, nous voyons un de ces immenses condors très gracieux planer dans les airs, attendant probablement ma mort imminente, mais le spectacle est merveilleux. Mais enfin, il est temps de finir, après une autre descente pentue et dangereuse qui semble ne pas avoir de fin.

Jour 3 : Repos

Alors que nous devions continuer vers la prochaine étape, la veille a été plutôt éprouvante et nous avons le temps de pouvoir musarder au bord du lac puisque c’est une randonnée de 4 nuits, mais nous avons 8 jours libres. Ainsi donc, pour reposer mes jambes et profiter de cet environnement revigorant, nous restons sur cet énorme rocher qui sert d’aire de repos à de nombreuses personnes. Nous apprenons seulement maintenant que chaque marche vers un refuge peut être effectuée en une journée, d’où le fait que certaines personnes ont des sacs à dos tout petits (je me posais vraiment des questions, même si je sais que nous avons emmené beaucoup trop de nourriture) et parfois des jeunes randonneurs. Je me fais la réflexion : “mais, ils ont dû tellement galérer à faire la randonnée de la veille !”.

Nous tentons une baignade mais l’eau venant directement des glaciers est beaucoup trop froide, alors après une petite tête, nous ressortons rapidement et nous nous reposons toute la journée sous une douce chaleur et animée par un groupe d’ados qui s’amusent à sauter du rocher.

Préparation du dîner au bord du lac sur le gros rocher
Préparation du dîner au bord du lac sur le gros rocher

Notre tente, bien qu’ installée sur le chemin vers les toilettes et l’évier pour laver la vaisselle, se trouve à l’entrée d’un chemin que personne n’emprunte et qui mène à un sublime point de vue sur les montagnes, si beau que nous décidons de retourner chercher la nourriture pour nous préparer un dîner au bord d’une falaise avec vue sur la vallée jusqu’à la nuit où nous sommes restés à observer les étoiles et prendre une photo de nuit (ma deuxième, woohoo).

Jour 4 : Refugio Jakob San Martin → Presque Refugio Italia Manfredo (Laguna Negra)

Ce jour-là, la Patagonie nous montre qu’elle est sauvage et indomptable, si je peux personnaliser la région.

Si déjà la lecture est trop fastidieuse jusqu’ici, descendez bien plus bas car la journée est très longue.

Réveillés à 9h30, visiblement nous prenons toujours beaucoup de temps pour nous préparer (le temps de faire le petit-déjeuner, de refaire les sacs et ranger la tente). Nous sommes allés voir l’employé à l’accueil qui nous dit que le segment jusqu’à Laguna Negra est fermé car ils ne connaissent pas les conditions du “chemin” (chemin…HAHAHA). Moment où probablement j’aurais dû commencer à être en alerte. Il s’arrête un moment, nous regarde et nous dit “mais vous avez l’air bien équipés, je pense que ça ne devrait pas vous poser trop de problèmes”. A ce moment-là, il nous explique que le début allait être compliqué puisque nous allions devoir escalader avec nos mains. Suite à cela, alors que j’essaie de suivre ce qu’il raconte (sachant que tout est en espagnol), il nous montre des photos de chaque endroit que nous allons rencontrer, pour être sûr que nous sommes au bon endroit sachant qu’il y a beaucoup moins d’indications, seulement les fameuses marques souvent blanches et rouges et non plus les poteaux, ce qui est déjà peu rassurant en soi. Il ajoute que nous partons un peu tard (je le concède et ça a été prouvé les jours précédents : partir entre 11h et midi est trop tard) et que nous devons nous dépêcher.

Après un court moment, nous arrivons déjà au lac où il nous fallait escalader avec nos mains, en effet. Mais ce n’était pas si compliqué, donc mes espoirs naissent et je me dis que ce jour ne va pas être si dur.

Toutefois, déjà les marques n’existent que partiellement et quand je regarde le col sur la droite, je me dis qu’il est impossible que le chemin soit par là, ce que Dante pensait. Nous continuons un peu mais il faut que je me rende à l’évidence : le chemin n’est assurément pas par là. Si plusieurs de mes proches ont déjà entendu cette histoire (et que la narration a duré plus de 20 minutes…tenez-vous prêts, ce qui va suivre est long) et si j’ai donné le nom “d’expédition” à cet article, c’est bien parce que l’une des aventures les plus folles de ma vie se passe précisément ce jour.

Alors que nous escaladons encore plus la montagne, nous croisons un couple argentin qui vient tout juste d’abandonner et l’homme nous dit “déjà hier, c’était compliqué mais je me sentais rassuré, mais aujourd’hui je me suis trouvé pétrifié face à ce qu’il faut traverser : ça n’a pas l’air solide et le vide m’appelait”. Dante et moi nous nous regardons et pensons que peut-être nous devrions abandonner; mais il ajoute “mais un autre couple venait tout juste de passer sans aucun problème, donc ça devrait être possible !”. Deuxième fois, on nous met en garde mais toujours avec de l’espoir.

Nous arrivons donc au fameux chemin, qui se trouve bloqué par un pan de glace. De l’autre côté, probablement ce couple conquérant, néerlandais disons (il va falloir que j’apprenne à faire plus attention aux gens que je rencontre…) faisant une pause sur un rocher nous dit qu’il est impossible de traverser ce pan : il faut passer par en dessous… Dante étant un adepte de l’escalade (mais accroché) mène le pas, pas qui se trouvent être très attentifs. La descente s’effectue plutôt facilement, mais j’aimerais attirer l’attention sur le fait que même si depuis nous avons mangé une part considérable de notre réserve, les sacs sont toujours très lourds. Personnellement, alors que ma mère m’avait un jour inscrite avec mon frère à un cours d’escalade qui a été annulé à cause de la pluie, c’est la familiarité la plus approchante que j’ai de l’activité “escalade”, mais d’un caractère plutôt aventureux, je ne recule pas devant ces défis. Mais cette fois-ci alors que je tente donc de suivre tant bien que mal, je ne sais pas où mettre ni mes mains, ni mes pointes de pieds car les parois sont beaucoup trop lisses. Soudain, alors que Dante décrète que c’est trop dangereux et qu’il nous faut faire demi-tour pour trouver un passage plus adéquat, pour la toute première fois de ma vie, je suis prise d’une attaque de panique, tandis que je regarde sous mes pieds à peine accrochés et vois ce lac bien loin en dessous. Je me mets alors à trembler de tout mon corps, qui lui refuse de ne faire ne serait-ce qu’un millimètre de peur que ma piètre accroche soit encore pire, écrasée sous le poids de Paul. Dante doit alors se débarrasser de son sac pour venir prendre le mien et que je tente de m’extirper de là. Je fonds en larmes mais désormais, il nous faut continuer à aller de l’avant, car on vient de le découvrir : descendre s’avère bien plus compliqué que monter, puis comme l’a dit Maud (avec qui j’ai voyagé à Kyoto, Okayama et Yakushima au Japon) métaphoriquement aussi, il nous faut avancer.

Moi, beaucoup moins fière, accrochée à mon rocher. Aussi, à partir de ce moment, toutes les photos sont de Dante, car comme vous vous doutez et fort heureusement, j'ai rangé mon appareil très rapidement.
Moi, beaucoup moins fière, accrochée à mon rocher. Aussi, à partir de ce moment, toutes les photos sont de Dante, car comme vous vous doutez et fort heureusement, j'ai rangé mon appareil très rapidement.

Nous trouvons enfin un moyen d’arriver au haut. Le couple, pendant toutes ces tribulations nous a crié au loin qu’ils allaient avancer voir si c’est possible de continuer et comme nous ne les voyons pas, nous nous disons que le plus dur est peut-être passé. Pour faire ce segment qui devait être rapide, puisque je le rappelle il suffisait de passer par un chemin bloqué ici par la glace, nous mettons deux heures…

La deuxième étape est de grimper un flanc de montagne en passant par des rochers mais plutôt type volcanique, c’est-à-dire que le sol n’est pas “fixe”. Par ailleurs alors que nous escaladons (ce n’est pas escalader à proprement parler mais marcher droit est impossible), un énorme rocher décide qu’il est temps pour lui de faire un plongeon dans le lac dans un fracas assourdissant : très fort heureusement, nous ne sommes pas dans son sillage. Une fois arrivés en haut, nous sommes perdus, mais fort heureusement de nombreux cairns sont présents (avant je pensais bêtement que les gens s’amusaient à élever ces amas de pierres pour signifier « je suis passé ici », mais ils s’avèrent très utiles, ici).

Nous devons donc contourner le col et pour ce faire nous devons longer un passage très étroit parsemé de patchs de neige avant d’accéder en contrebas à un autre lac, le lac Navidad ( comme je l’ai dit à ce moment-là dans mes moments de désespoir “Navidad comme Noël ? Merci le cadeau”…mais je n’ai plus toute ma tête). Sauf que ces patchs de neige commencent à fondre, comme le flanc est très pentu, je m’appuie sur les parois rocheuses et parfois de la neige mais comme on peut le voir sur la photo en dessous, ça s’avère plutôt dangereux.

Après ce passage, nous arrivons donc au Mont Navidad, large mont extrêmement venteux, bien la dernière chose dont nous avons besoin, alors que je pensais avoir du répit. Nous continuons donc sur la crête pendant un assez long moment jusqu’à un endroit trop pentu pour que ce soit le réel chemin. Par moment, pendant des randonnées, on se doute que le chemin n’est pas le bon à cause de sa dangerosité et du fait qu’il soit trop pentu. Ici c’est le contraire, on sait que c’est le bon chemin quand celui que vous empruntez est le plus dur. Donc plutôt que de descendre, nous glissons le long de la montagne.

C’est alors que l’on aperçoit une superbe vallée verdoyante avec au loin enfin… le voilà perché en hauteur : le lac Laguna Negra, qui a bien un aspect noir au creux d’un col entre deux montagnes avec le soleil qui n’éclaire qu’une infime partie de la vallée, sachant que le temps avance considérablement plus vite que nous. Pour exprimer mon émotion du moment, je me souviens l’avoir appelée “La Vallée de l’Ombre”. Sauf que, avant d’atteindre le lac et même la vallée, nous devons descendre le col où il nous faut traverser une espèce de glacier. A nouveau, nous nous disons qu’il est impossible que ce soit le chemin mais nous pouvons enfin voir des traces de pas ! Plus aucun doute, nous nous mettons en route.

La "Vallée de l'Ombre" avec le Laguna Negra en hauteur
La "Vallée de l'Ombre" avec le Laguna Negra en hauteur

Au début, c’est drôle, nous faisons comme du ski car la pente est juste suffisante pour contrôler plus ou moins notre descente. J’apprends ce jour que je ne contrôle pas si bien mon corps car il m’est impossible de rester debout comme Dante, donc je tente de m’accroupir mais sous le poids de mon sac je finis sur les fesses (en short, car la veille ayant été trop chaude, j’avais décidé que je porterai un short : la pire idée).

Toutefois, encore une fois, ça devient très pentu et je rigole beaucoup moins. Dante continue de dévaler la pente glacée, en arrière (allez comprendre). Il rejoint subitement le côté droit où il y a un banc de roches et me crie d’en faire autant car il a vu un trou, que c’est trop dangereux. Sauf qu’à ce moment-là, je perds complètement contrôle de mon corps et ce n’est plus du ski mais plus de la luge jusqu’au moment où ma jambe s’accroche dans un des fameux trous. La moitié droite de mon corps se trouve au dessus du vide avec en contrebas sur la droite des rapides si bruyants et si torrentiels que la peur m’envahit à la vitesse de la lumière : je vois déjà ma mort. Mais je ne vois pas défiler ma vie, mon cerveau s’enclenche en mode adrénaline et je dois trouver une solution. Tout se passe extrêmement rapidement, je vois bien un énorme rocher plus bas mais je suis trop haute pour pouvoir prendre appui avec ma jambe coincée dans le trou. Si la surface qui me sépare de ce torrent se brise, c’en est fini, il me sera impossible de remonter, si jamais je ne tombe pas dans le courant. Mon dernier recours est de regarder Dante sans pouvoir dire un mot qui, à nouveau, quitte son sac et s’approche très vite sur le ventre de moi et m’attrape par le bras où j’arrive à m’extirper du trou, toujours sur le ventre pour bien répartir le poids.

Je suis encore prise d’une crise de panique mais cette fois-ci combien de fois plus puissante. Je reste dans un état second toute la fin de la journée. Là, nous comprenons que la neige est traître car nous pensions qu’elle prenait toute la surface jusqu’au sol, mais non. Nous tentons donc de continuer en l’évitant, en traversant parfois sans avoir le choix de la neige et traversant de temps en temps la rivière lorsque la neige se faisait plus éparse. Jusqu’au moment où on rejoint notre couple suicidaire (comme nous) qui avait deux heures d’avance donc là ça ne sent pas très bon. Ils sont en train de descendre en rappel un rocher… En rappel ! Je n’ai jamais fait d’escalade et encore moins du rappel avec un sac à dos de 15 kg sur une paroi où se déverse un bras de la rivière… Bonjour chaussures mouillées.

Je serais apparemment déjà morte trois fois durant cette journée puisque Dante fait le rappel en descente avec son sac à dos et alors que je ne sais même pas comment m’y prendre, je reste paralysée, un peu comme un écho de la première étape de la journée lorsque je reste coincée par mon sac. Donc Dante remonte et me prend mon sac, puis m’explique comment me mettre pour descendre : les jambes perpendiculaires par rapport à la paroi avec toute la force sur les jambes tout en penchant son corps légèrement vers cette paroi, la corde entre les jambes (et non pas sur le côté comme j’essayais au début) et ne jamais lâcher une main (il faut les glisser l’une après l’autre) et garder un rythme constant sachant que les mains vont être très fatiguées, il faut essayer de trouver un endroit où on est stable et en sécurité pour les reposer s’il le faut.

Et ce n’est pas fini. Nous continuons donc et là, j’avais lu auparavant sur internet qu’il faudrait traverser la rivière à un moment donné et qu’il fallait donc prévoir deux paires de chaussures (que nous n’avions pas et vous voyez ! Je me suis renseignée…). Donc la première fois, nous les enlevons puis les remettons mais en fait, il faut la traverser tout le temps (là je suis contente d’être en short), donc si nos chaussures étaient mouillées, maintenant elles sont complètement trempées. C’est toujours très joli hein, mais je crois que j’avais eu mon quota d’aventures pour la journée, je veux juste qu’elle se termine.

Après avoir traversé une forêt très étroite où nous finissons remplis de coupures, il nous faut encore traverser la rivière mais alors que Dante saute sur un rocher, un arbre déchire notre sac poubelle et certains de nos déchets tombent dans la rivière…Et nous n’avons plus de poubelle.

Puis nous arrivons à un marais dans lequel je tombe (ma vie est fantastique) et nous enfonçons souvent nos pieds dans la boue. Enfin nous arrivons à une clairière où nous voyons un couple ainsi qu’une autre femme qui ne veulent plus continuer jusqu’au refuge car il est déjà 21h40 et qu’il faudrait encore deux heures pour y arriver. Nous décidons de faire la même chose car clairement, nous sommes trop épuisés pour continuer, surtout dans la nuit sur ce chemin qui essaie de nous tuer.

Pour finir cette journée, qui est apparemment riche en apprentissage car j’apprends que les brûlures par la neige peuvent être un grave problème, puisque même après dix jours j’avais encore les mains et une fesse brûlées et je ne pouvais rien sentir avec (c’est pas si problématique pour les fesses mais plus pour les mains quand même). Nous passons neuf heures de randonnée à être concentrés non-stop, sachant qu’il nous était impossible de faire la moindre erreur, car elle serait fatale.

LE RESUME EST ICI : A la TL;DR (Too Long; Didn’t Read = trop long; je n’ai pas lu) d’internet qui donne un court résumé pour ceux qui ne sont pas intéressés par les détails : j’ai fait deux crises de panique, l’une suspendue à un rocher, l’autre alors que je tombe quasiment dans un glacier. Les chemins n’existent plus et les marques non plus, mes genoux sont morts, nous faisons du rappel et nous abandonnons et dormons donc dans une clairière où l’autre couple et une autre dame se sont arrêtés aussi.

Jour 5 : Dans la clairière → Refugio Italia Manfredo Segre (Laguna Negra)

Réveillés à 9h après une bonne nuit vivifiante à l’abri du vent dans notre parfait petit spot dans la clairière. Durant la nuit, il a plu et notre tente est mouillée, mais pas le choix, il faut la plier. La journée continue en traversant la rivière maintes et maintes fois, avec encore plus d’escalade avec les mains.

Nous prenons apparemment le mauvais chemin; bien que nous voyons au loin le chemin sinueux le long d’un flanc de montagne, nous préférons suivre les marques.

Après la veille, ce n’est pas si compliqué, même si nous mettons trois heures et ce n’est pas non plus aisé, on ne peut pas appeler ça une “randonnée” par exemple. Ce n’est clairement pas pour n’importe qui, sachant qu’il faut avoir une maîtrise et une confiance absolue dans son corps, nous devons souvent nous accrocher aux arbustes pour pouvoir grimper (et je me coupe d’ailleurs un peu la main). Je mets encore mon pied dans l’eau, alors que même si nous sommes en été, il fait froid. Le vent n’aide en rien car il est si fort que par deux fois, il me renverse et parfois c’est presque dangereux car les bourrasques nous rapprochent du vide.

Nous apprenons en arrivant au refuge, après avoir été accueillis comme des héros, que ces marques sont fausses et anciennes. D’ailleurs le refuge est si bondé que je me demande comment toutes ces personnes ont pu traverser cet enfer tout en gardant autant le sourire, si frais, certaines (ou certains) sont mêmes maquillées, bien coiffé(e)s. Mais, encore une fois, ce refuge est accessible à la journée à partir de Colonia Suiza et apparemment plutôt facile selon un couple argentin qui vient de faire sa première randonnée !

En héros disais-je? Oui, car nous sommes attendus, l’autre ranger avait prévenu que nous allions arriver mais la veille, personne sur les six personnes qui devaient venir n’a fait son apparition. Ils sont donc un peu inquiets car notre couple jumeau n’est pas encore là (alors qu’ils sont encore partis avec bien deux heures d’avance) mais comme nous ne les avons jamais vus de toute la journée, nous supposons qu’ils sont juste partis à Colonia Suiza directement car pendant la randonnée, le chemin se divisait. Ils nous posent plein de questions et en apprenant la situation du circuit, ils n’en reviennent pas. J’entends des gens après nous avoir entendu parler, raconter à d’autres en y mettant beaucoup d’émotion, c’est intéressant.

Nous leur conseillons très fortement de dire tout bonnement que le segment est fermé et complètement interdit s’ils veulent éviter des accidents. Bonus très bienvenu : un poêle est mis à disposition où je laisse mes chaussures sécher et où nous pouvons nous installer au chaud. Nous rencontrons Laura, une Allemande et Lucas, de Buenos Aires, et parlons toute la soirée (sachant que les soirées sont toujours courtes car tout le monde va se coucher tôt en randonnée puisque nous sommes tous fatigués et devons partir tôt le lendemain, quand nous ne sommes pas Dante et Emma).

Jour 6 : Laguna Negra → Refugio López

La nuit a été rude, il a même neigé. Nous n’avons presque pas dormi. Un moment les serviettes déjà humides qui nous servent de tapis isolant ont coulé et je dormais dans l’eau qui s’est infiltrée dans la tente. Un vent incroyable et super froid souffle toute la nuit. Je regrette mes gants du Népal.

Alors que nous nous préparons pour partir, l’un des rangers vient me voir pour me demander si nous allons bien au refuge López car une personne seule, Carolina (Argentine), veut aussi faire cette randonnée mais c’est déconseillé de marcher seul, notamment parce que cette randonnée n’est pas super prisée.

Nous sommes partis vers 11h30 et commençons la journée avec Lucas et Laura, qui veulent juste aller en haut de premier pic et revenir.

De gauche à droite : Laura, Moi, Dante, Carolina et Lucas
De gauche à droite : Laura, Moi, Dante, Carolina et Lucas

Carolina sait très bien parler anglais, mais peut-être n’est-elle pas habituée à parler en anglais (même si apparemment elle en donne des cours…) mais elle ne parle qu’espagnol et clairement en s’adressant à Dante, mais ça me permet de me concentrer sur mon ressenti et d’avoir une journée un peu plus solitaire.

"Et ils marchèrent longtemps, très longtemps" - 2020 © Laura Eisenhauer
"Et ils marchèrent longtemps, très longtemps" - 2020 © Laura Eisenhauer

Cette jounée est pour moi facile, il faut beaucoup marcher et le plus long est probablement d’escalader tout un pan d’éboulis, qui s’avère assez dangereux mais où je me plais beaucoup, m’imaginant Gollum (du Seigneur des Anneaux), je grimpe rapidement; ce qui n’est pas le cas de Carolina, mais ainsi je peux me reposer. La chose importante ici est qu’il faut faire attention de ne pas faire glisser trop de roches, de nombreuses fois j’en rattrape avec mon pied car Dante et Carolina sont en contrebas. Si je n’arrive pas à les rattraper, je crie : “rock !” pour qu’ils soient au courant. 

Carolina est très « spirituelle » et deux fois elle nous déclare qu’elle ressent l’énergie des choses et alors que nous mangeons notre déjeuner, elle regarde la forêt en disant “je voudrais demander à la forêt si c’est possible de la traverser mais je sais qu’elle est d’accord”. Puis plus tard, après avoir traversé ce flanc, alors que j’attends, mes mains sont très froides et je les pose donc sur une paroi rocheuse réchauffée par le soleil. Elle arrive et dit : “moi aussi je ressens l’énergie vibrante des pierres”, ce à quoi je réponds “j’ai juste les mains froides”. Que ce soit clair, j’admire la beauté de la nature, elle me rend souvent émue mais j’admire encore plus que tout soit scientifique, pragmatique, j’y trouve encore plus de beauté. Et pour les personnes qui suivent un peu mon blog, vous saurez de toute façon que je n’aime pas trop les croyances, donc déjà que je ne porte pas la religion dans mon cœur, ça n’aide pas, surtout quand elle l’impose. Malheureusement nous n’avons pas le loisir de débattre.

Elle s’arrête un instant pour ressentir encore plus l’énergie de l’endroit (ce sont ses dires) au pic Turista (c’est peut-être ça, son problème) donc nous continuons car nous pouvons voir le refuge de là. La suite se passe tranquillement et nous installons notre tente à l’abri du vent avec une magnifique vue. Le soir nous parlons à un ancien professeur qui nous apprend beaucoup de choses sur les environs et qui est très intéressant (et qui lui parle anglais pour moi alors que ça ne semble pas aisé).

Pic Turista avec vue sur le lac de Nahuel Huapi
Pic Turista avec vue sur le lac de Nahuel Huapi

Alors que tous les autres refuges sont gratuits (Argentine, comment te remercier ? C’est une initiative géniale !), ce refuge est privé et donc payant (beh oui, qui dit « privé », dit $$$) — en janvier 2020, 350 peso argentin soit environ 6,8€

Jour 7 Refugio Lopez → Colonia Suiza

Cette dernière journée n’a rien d’une randonnée, plutôt une balade. Nous ne faisons que descendre et nous passons par une magnifique forêt où nous voyons beaucoup d’animaux et de plantes dont deux magnifiques piverts qui ne semblent pas timides du tout, si bien que nous pouvons les approcher d’assez près. Qu’ils sont bruyants quand ils écorcent les arbres !

Je m’amuse à faire des montages comme on peut le voir ci-dessous :

Ceux qui montent en revanche ont vraiment l’air de galérer.

Enfin nous arrivons à Colonia Suiza, à pied où nous faisons du stop pour rejoindre Bariloche car nous devons déjà partir le lendemain, mais si vous avez du temps profitez-en pour visiter cet endroit !

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